On naît, on nous offre le monde sur un plateau d'argent, puis un jour on se réveille, on fait la merde pour les plus puissants que soi et on crève au fond d'un trou. C'est toujours ainsi qu'elle a vu la vie, ma tutrice. Et aussi loin que je me souvienne de mes jeunes jours, je lui ai toujours donné raison à cette vieille folle. La seule qui avait bien voulu du résidu d'ovaires de la pute du grand lampadaire au coin de la rue. La seule qui arrivait à m'imaginer vivante et non frigorifiée dans le conteneur derrière ce restaurant pas net grouillant de rats. Parait-il qu'un drôle en aurait retrouvé une queue parmi ses frites. Haha, j'ai manqué un moment d'animation intense ce jour là, dommage.

Elle commençait à se faire vieille la branque, elle délirait entourée de ses « fidèles matous » qui n'en avaient strictement rien à foutre de sa gueule et qui voyaient plus en elle l'intérêt de la bonne bouffe qu'elle leur préparait avec amour. Elle était prête à dormir sur le carrelage de sa chambre pour le petit confort de ces bestioles, la croulante. Le chat est un animal maléfique. Mais voilà, je viens d'un quartier où toute bonne vieille femme qui se respecte possède tout un troupeau de chat dans sa baraque. Ouaip, j'ai passé une bonne partie de ma vie dans un trou où les chats possèdent les maisons, décident des trajets à faire et adoptent les humains.

Ma vieille était complètement teubée mais je l'appréciais beaucoup. Même si elle m'avait pris sous son aile alors que j'étais enfant, nous n'avons jamais eu de relation telle que celle d'une mère avec sa fille. C'était tout autre chose, une sorte de respect profond et mutuel, une tendresse sans les caresses qui donnent des puces, nous nous sommes liées d'une façon bien particulière, elle était tout ce que j'avais au monde. Mon seul repère dans ce monde de putains de barbares. Je la regardais un peu de la même façon que le gars tout ému qui redécouvre son tout premier préservatif, calé tout au fond de son portefeuille. Un vieux souvenir mais qui au fond se perpétue si on y réfléchit bien. ... Certains hommes sont dégueulasses, vous ne trouvez pas ?

Elle connaissait bien ma mère, elle l'avait côtoyée durent de longues années mais n'a jamais voulu me donner de détails sur son identité, sur l'endroit où elle pouvait bien se trouver. Tout ce que je sais, c'est que ma mère se faisait appeler Temperance, qu'au tout début j'étais une enfant voulue... Pendant la première semaine de ma vie. Découragée face à la responsabilité, elle m'a froidement abandonnée sur le couvercle d'un container. Ça fait toujours plaisir de se sentir aimée. Complètement connasse celle-là.
Après, je ne saurais pas vraiment dire si je suis à plaindre ou pas. Il est vrai qu'on était souvent en galère et qu'on se faisait bien chier dans la vie. Il est vrai que j'allais jouer la petite racaille pitoyable dans les rues pour faire comme les potes. Tous des crevards. Non, en fait la vie c'était plutôt merdique, mais je pense que c'est pareil pour tout le monde. L'attente est plus longue pour certains que pour d'autres. En attendant il faut s'occuper, donc tout ce que j'ai su faire c'était faire brûler des voitures, voler des conneries et ramener les flics à la maison.

J'ai su quoi faire le week-end qui a suivi le pire jour de ma vie. J'avais seize ans, j'étais tellement malheureuse que je m'étais pris une murge incroyable et j'ai écris encore et encore, pendant des heures, entretenant l'ivresse sans relâche à coup de tout ce que j'ai pu trouver dans le placard. J'ai même avalé de l'eau de Cologne. Ma seule attache dans ce monde était morte et tout ce à quoi je pensais c'était à me foutre en l'air. J'voulais crever et c'est tout mais une petite voix au fond me tiraillait avec violence et m'a poussé à écrire tout un tas de mots qui me semblaient être du charabia sur le moment. Le lendemain j'ai jeté mes écrits et la bonne personne les a trouvées. Je me suis retrouvée écrivaine à l'âge de seize ans en ayant l'impression de n'avoir même pas eu le temps de respirer. Mon tout premier essai, ce fut celui ci et il a eu un succès fou. J'y consignais un peu ma vie en détail, ça ressemblait presque à un testament mixée à une lettre de suicide complètement dépressive. Je n'ai jamais avoué que cette histoire était vraie.

J'ai sorti d'autres livres, je suis devenue anorexique car dans la vie, je ne pensais qu'à boire, baiser et me shooter, il n'y avait plus de place pour la bouffe. Je ne l'ai réalisé qu'une fois que j'ai failli en mourir, j'allais sur mes dix-huit ans. Je suis restée parfaitement alcoolique et droguée, je l'assume et c'est ce qui m'aide à mieux écrire. C'est comme ça. J'ai passé bien des années à creuser ma propre tombe puis du jour au lendemain, j'ai claqué la porte de la maison d'édition, je ne leur enverrai plus de livre. Qu'ils aillent se faire foutre "bordel de merde enfoiré de sa mère". Sur un coup de tête. Je voulais changer de vie. Je voulais partir. Bueno Aires.

Arrivée en Argentine avec les économies faites grâce à mes livres, j'ai commencé à retrouver un corps normal, je ne ressemblais plus à un squelette. Je continuais d'écrire pour moi mais je refusais de faire publier mes livres. J'ai été repérée par le propriétaire du Love Corner et je me suis laissée convaincre. Aujourd'hui je bosse au milieu des jalouses parce que je suis dite "la favorite" et que je suis payée bien plus qu'elles. Je n'ai toujours pas lâché la bouteille ni la drogue et je n'y compte même pas. J'en ai rien à foutre. Au fond j'ai bien trop mal.

J'ai faillit mourir plus de 15 fois durant cette année, je me suis fait taper sur la gueule un nombre incalculable de fois, j'ai fait près de 150 crises violentes. La vie est belle.