L’autre venait à peine de s’endormir lorsque le portable vibra sur la table de chevet. Elle m’avait appelé, complètement paniquée, en sanglotant. C’était jamais bon signe quand elle pleurait. Elle ne pleurait pratiquement jamais. Elle pensait avoir tué son voisin. Il y avait du sang partout. Je pouvais pas la laisser. Parce que je n’ai pas envie qu’il lui arrive quelque chose, et que, quand bien même ce mec serait définitivement crevé, je ne pouvais pas la laisser se démerder toute seule. S’il fallait qu’elle se fasse coffrer, j’irai avec elle. J’irai même à sa place si c’était possible ! Alors, j’avais renfilé les fringues et mes chaussures à toute vitesse, tandis que j’essayais de la rassurer au téléphone. « Tu restes pas ? » J’avais tourné la tête vers la voix endormie. Je l’avais presque oublié, celui-là. « Pas cette fois-ci, mon chou. » Et sans rien ajouter, j’avais quitté la chambre et dévalé les escaliers, faisant du mieux que je pouvais pour ne pas me ramasser avec mes talons. J’avais chopé un taxi sur le bord de la route, consommant ainsi presque la moitié de la somme que l’autre m’avait donné. Je me voyais mal courir jusqu’à chez elle dans cette tenue. Ça irait plus vite en voiture. De toute manière, ça n’avait pas d’importance. C’était pour Shiloh ; je pouvais bien me le permettre.

J’avais observé, en me rongeant les ongles, les lumières des lampadaires qui défilaient sous mes yeux. Je trépignais presque. Ça n’allait pas assez vite à mon goût. J’avais trop peur qu’elle fasse une connerie. Que je la retrouve à moitié morte sur le seuil ou je ne sais quoi encore. Alors, quand le taxi s’est arrêté dans la rue de mon amie, je suis descendu comme un cinglé. J’ai ôté mes godasses en même temps que je sautillais pour avancer, parce que c’était carrément trop casse gueule, et je me suis retrouvé en chaussettes sur le trottoir. Mais je m’en foutais. Parce que c’était pour Shiloh. J’ai grimpé les escaliers, et j’ai poussé la porte à gauche de la sienne, comme elle me l’avait indiqué. Je suis entré, puis je l’ai refermée aussi vite. Et enfin, j’ai regardé. J’ai failli tourner de l’œil, sur le coup. Y’avait du sang partout. Sur la table basse, sur le mec, par terre. Y’a une robe déchirée sur le canapé. Et au milieu du carnage, je reconnais Shiloh, couverte de sang, elle aussi, en larmes, en train de frotter par terre avec un tee-shirt. Elle était toute nue, ma petite Shiloh … Alors, je me suis approché d’elle, et je me suis agenouillé à ses côtés. J’ai doucement pris son menton entre mes doigts, et j’ai tendrement essuyé le sang qui lui coulait du nez. « Eh, Shiloh … Calme-toi, calme-toi … J’suis là, maintenant, d’accord … ? »

Alors, lentement, je lui ai pris le tee-shirt qu’elle tenait entre ses mains. Parce que vu l’état dans lequel il était, il ne servait plus à grand-chose. J’ai ôté mon débardeur, et je l’ai donné à mon amie. « Mets-ça, d’accord ? » J’ai essayé de lui adresser un sourire qui se voulait rassurant, mais je crois que c’était plutôt raté. Sur la pointe des pieds, je me suis approché de l’homme qui gisait inconscient par terre. « Dis … T’es vraiment sûre qu’il est … mort ? » Question stupide. Elle n’avait pas l’air d’être en état d’être certaine de quoi que ce soit. Ah, ma pauvre Shiloh … Regarde jusqu’où on va … « Tu veux bien me raconter l’histoire ? Il … Il t’a fait du mal ? » Je me suis agenouillé, encore une fois, et j’ai passé deux doigts devant le nez de l’homme, puis j’ai posé ma main sur sa poitrine, pour voir si son cœur battait encore. J’ai évité de regarder son arcade complètement défoncé, parce que ça, c’était carrément dégueulasse. Il ne pouvait pas être mort, de toute manière, hein ? Et quand bien même il le serait … On s’arrangerait. On irait le foutre dans la rivière, où n’importe où, mais on s’arrangerait ...

J’ai réalisé que j’avais vraiment posé la mauvaise question lorsqu’elle s’est remise à pleurer encore plus fort en braillant un « Je sais paaaaas ! » au milieu de ses sanglots. Je me suis mordu les lèvres, juste un instant, avant de m’agenouiller près du corps. Alors, je lui ai demandé simplement de me raconter l’histoire. Peut-être que ça lui ferait du bien. Elle avait reniflé, et s’était à moitié étouffée. Je m’étais retourné vers elle, un peu inquiet, juste le temps de la voir cracher du sang. Je grimaçais un peu. Ma pauvre Shiloh …

Il l’avait touchée alors qu’elle n’en avait pas envie. Il lui avait arrachée sa robe. J’ai serré les dents. Abruti. Tous poussés par le désir de se vider sans vraiment s’inquiéter de l’avis des autres. Elle l’avait tapé. Bien fait. Et il lui avait rendu son coup. Connard. Ca expliquait peut-être l’état du nez de ma Shiloh. Et elle l’avait poussé. Il était tombé, et sa tête avait heurté la table basse. Elle ne l’avait pas fait exprès. Elle ne voulait pas. Je fermais les yeux, résistant difficilement à l’envie de frapper le corps inanimé de cet abruti pervers. Dans quel état il avait mis ma Shiloh, hein ?! Je détestais quand on lui faisait du mal. Ce n’était pas un objet qu’on pouvait balancer à sa guise. Et utiliser quand on en avait envie.

Au fond, il pouvait bien être crevé, j’en m’en foutais. Il n’avait que ce qu’il méritait. Il n’avait pas le droit de lui faire du mal, c’est tout. J’avais essayé de voir si son cœur battait, mais … Soit ce n’était vraiment pas assez fort, soit il avait déjà claqué. Et merde. J’allais pas perdre mon temps à le réanimer. J’avais tourné la tête vers mon amie, pour la voir étaler le sang avec ses mains sur le sol, pleurant avec force en murmurant des excuses. Je m’étais relevé, et m’étais rapproché de Shiloh, attristé de la voir dans un pareil état. Je m’étais mis à sa hauteur, et avais doucement pris ses mains entre les miennes, avant de la prendre dans mes bras. « Calme-toi Shiloh … Tu l’as pas fait exprès … C’est pas grave … » Enfin, à peu près, quoi. De toute façon, un pervers en moins sur la planète, ce n’était pas vraiment très important. Je regardais un léger moment mon amie, et replaçais distraitement une mèche de cheveux derrière son oreille. « Ça te dit qu’on aille nettoyer ton nez, déjà, hein ? T’en mets partout, ma choute, là … » Je l’obligeais un peu à se relever, pas très certain qu’elle aurait pris l’initiative de le faire, vu l’état dans lequel elle était. Je l’ai guidée jusqu’à la porte, j’ai attrapé les clés, et j’ai verrouillé la serrure derrière moi. Au cas où. Je l’ai entraînée jusqu’à chez elle, et je l’ai conduite à la salle de bain. J’ai commencé à faire couler l’eau, et je me suis retourné vers mon amie, juste pour lui ôter mon débardeur. « Aller, Shiloh … Tu seras mieux après ça, tu verras. » Je lui adressais un sourire qui se voulait rassurant, avant de commencer tendrement à lui passer le jet d’eau dans les cheveux. Doucement, avant d’essuyer lentement le sang qui lui coulait sur le visage, tout en évitant d’appuyer sur son nez. J’ignorais s’il était cassé ou non mais dans tous les cas, ça ne devait pas faire du bien. « Aller, arrête de pleurer, Shiloh …. Ça va s’arranger … »